Chris
Delville
 1m x 1m50 2011
L’inimaginé
Depuis 30 ans, je laisse venir ce qui vient, pourvu que je trouve la bonne inclinaison de la plume, la pointe ou du crayon... Je laisse émerger des images issues de l’indicible, l’involontaire, l’inimaginé.
L’inimaginé, m’a libérée du beau et du laid. Ma seule et unique visée fut et est toujours celle-là laisser émerger ce que je ne connais pas encore. Ainsi chaque dessin, chaque gravure est un voyage. J’en rapporte des pièces de puzzle qui ont l’allure de contes, de mythes, individuels ou collectifs, dont je ne connais ni les tenants ni les aboutissants. Je les devine, ou peut-être pas. De ces plongées , je rapporte des bribes : voilà ce que ces dessins, ces gravures sont.
Les soubassements, la face cachée, le non apparent, sont mes lieux de visite habituels. Je pars sans relâche à la recherche de « sens ». Pour élargir la vue, élargir l’esprit, élargir la Vie. Au départ c’était un exutoire nécessaire, vital. Aujourd’hui c’est un terreau de Vie, qui m’est indispensable. L’indicible se distille par touche éparse. Il ne prodigue pas des mannes de sagesse !! Et par touches éparses, le puzzle prend un sens, dans le désordre. L’ordre du désordre à vrai dire. L’ordre du désordre est un mouvement constant, il se fait et se défait, c’est cela la vie ou plutôt, le vivant. Ce n’est ni l’ordre, ni le désordre, ni le chaos, mais la constance de l’inconstance.
Je ne crée, ni ne reproduis rien. La main se laisse dicter, quand je trouve l’alignement en moi et la tension juste qui me rend « antenne » - et je ne le trouve pas toujours, ou il y a des interférences … Je laisse l’improbable me guider.
L’expérience en est chaque fois « autre » ou « tout autre ».
Aimer cela – voilà où je puise mon énergie. Et je dois l’écrire ainsi pour en donner la juste mesure : « AIMER » cela.
Les films c’est « écouter ».
Je suis rebelle aux voix du pouvoir, mais j’obéis aux voix intérieures : celles-là m’enseignent. C’est ce qui m’a poussé à filmer ces voix. Faire voir pour faire entendre - ce que j’avais entendu sans voir et qu’il me fallait à mon tour aller visiter pour me conforter : avais-je bien entendu ce que j’avais entendu ? Mieux, je n’avais pas tout entendu !
Le processus des films est le même que dessiner ou graver. Si ce n’est que le voyage est aussi dans l’espace, et l’image est celle qui m’est donnée de voir (toutes les autres m’échappent !).
Un artiste est libre. C’est sa place dans la société. Sa raison d’être. Il a le devoir de sa transparence, même si elle est opaque, ni plus, ni moins. Qu’il réussisse socialement ou pas est secondaire. Si l’art est le reflet du monde, on a besoin que tout existe : le meilleur et le pire ;le connu et l’inconnu ; le vu et le non-vu … …Où que l’on se situe dans la palette est sans importance. Être soi –, seul importe.La culture de la star va à l’encontre de cela, mais la bonne nouvelle, c’est qu’inévitablement le mur de la déconvenue, mène à ramener à de plus sages desseins. Le rôle de l’égo est de nous maintenir naturellement en vie, il vient naturellement palier au manque de confiance en soi et merci !
Mais à mes yeux, l’Art concerne avant tout l’âme humaine, la pâte humaine, le cœur. Sans art, l’être humain se meurt. Il est - l’expression - de l’indicible - de l’âme - des humains.
Voilà ce matin ce qui me vient, et demain ce sera un peu autre …
Chris
Delville
Le corps est un contour,
long trait évident et sûr qui s'impose
à l'espace du papier. Le corps est une
histoire, intime et violente. Le corps respire
cette immatérialité que lui confère
une huile très diluée, posée au chiffon
dans un geste qui applique et atténue tout à
la fois couleurs et souvenirs.
Des corps qui. écrivent
leur existence, ne s'imposent qu'à cet instant,
jamais fragile, où ils s’affrontent, ce qui
provoque sûreté du trait et rage qui les
porte.
Une peinture posée comme espace (encre,
huiles, pastels, collages ou cartes du monde) où
se nomment et se montrent ces quelques nœuds de nos existences que
nous ne cessons de quitter mais auxquels toute rencontre
quelque peu essentielle nous ramène à
intervalles irréguliers.
Une intimité
peinte comme une légende.
Des coups de
cœur dessinés comme des mythologies. Des
ventres de femmes qui portent le monde. L'anecdote
des passions hantées par un cortège d'anges
obscurs et d'animaux étranges. Avec l'humour
un peu triste de ceux que la gravité blesse et
qui en affrontent les pièges dès lors
qu’ils osent tout à la fois nommer ce qui les
obsède et prendre distance de ce qui les travaille.
Nous entrons alors en zones complexes où
tout tient à un fil. Nous basculons entre essentiel
et dérisoire.
Une oeuvre faite de
ces fermes fragilités.
Chris Delville en développe
l'itinéraire sur papier elle peint un journal
qui tient de l'intimité des plus anciennes histoires
et de l'actualité de la matière et du
trait.
Une peinture qui manie une écriture
effacée, renversée, détournée,
peu lisible puisque le propos est d'abord pictural.
Une peinture qui partant des obscurités qui nous
assaillent, gagne en surface,transparences et brillances
que confèrent peinture et papier vitrail qui
viennent, en certaines oeuvres, vernir les émois
légendés.
Chaque dessin, chaque
peinture, chaque gravure est territoire de mises en
danger. Et le risque de dire, de tout savourer, de garder
trace des fureurs qui nous habitent, passe par le défi
d’un support de papier donc fragile qui change toujours
et par l'aventure de couleurs sans cesse renouvelées.
Aucune répétition
dans cette œuvre qui se défie, aucune série
car l’exigence posée se refuse à répéter
ce que la vie se charge sans cesse de reprendre ou de
modifier.
Alain de Waissege
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