> Accrochage III             Photographes / Fotografen / Photograph


*Photos Rino Noviello

 



Jorge de la Torre

Les photographies de Jorge de la Torre mettent au jour la matière altérée d’un environnement visuel qui à priori, n'est pas du ressort du champ artistique et procèdent à une transfiguration des matières brutes que sont l’acier, le ciment et le béton. La ville est utilisée pour ses registres formels et chromatiques mais aussi pour se qui demeure indicible : un vécu, une mémoire. Les entailles, traces, coulures, coups, déchirures, empreintes et oxydations de la matière sont autant de blessures cicatricielles dues à l’utilisation et à l’usure temporelle. Si la solitude s'y inscrit c'est parce qu'elle témoigne d’une ville en souffrance, outragée, parsemée de plaies.  Témoin d'une époque.

Jorge de la Torre métamorphose la photographie en une œuvre picturale abstraite où la matière est sublimée. Ici, point de complaisance. La matière s’aborde pour elle-même, sans fioriture, avec une suffisance naturelle. La gamme chromatique aux couleurs synergiques de jaunes et de bleus alterne avec la matière brute du ciment épais qui traduit le contraste des épaisseurs et des ombres. Il en découle une charge émotive qui bouscule les sens et qui brouille les pistes en dissolvant les points d’ancrages de la raison. Où sommes-nous  menés? À quoi avons-nous à faire? Rien ne l'annonce. Le sujet se fait signe et matière, rien de plus et cela suffit. Pur fruit du hasard, l'aléatoire prend ici toute sa place et nous confronte à  des images autonomes qui s’inscrivent dans le registre du tableau photographique.

   Valérie Bacart   
   Historienne de l’Art.
 

Rino Noviello

Au coeur de la matière…la tentative de fouiller du regard le contrepoids de l’espace. Editions : Picturimage

Jean-Luc Renier

L’art du cadre

Jean-Luc Renier est photographe. Mais, par sa photographie, il est aussi un géomètre qui prend la mesure du monde, un architecte qui le reconstruit à sa manière, un peintre qui le redessine et le colore, un musicien compositeur qui l’entraîne dans un nouveau rythme. Observant le monde, il en dévoile les formes fondamentales, en retrouve l’équilibre que nos yeux fatigués avaient perdu de vue, lui confère un nouveau centre de gravité qui soudain le réordonne. Ses images découvrent les lignes architectoniques de la nature en même temps qu’elles rendent aux vestiges industriels leur organicité presque végétale. Ses compositions écrivent une nouvelle partition de plans et de couleurs et retrouvent, enfouie sous la banalité des choses ordinaires, la beauté d’une structure oubliée qui, pourtant, était déjà là. Il suffisait de la regarder autrement.

Cadrer, c’est structurer, organiser, agencer. C’est la part essentielle de tout acte photographique, que le déclenchement rend décisif. En peinture, le cadre est donné a priori. Le peintre le remplit petit à petit de traits et de couleurs, jusqu’à obtenir l’image, figurative ou non, qui le satisfasse. En photographie, le cadre vient a posteriori : il découpe une réalité continue qui lui préexiste et qui est là, sous les yeux de l’opérateur. Par son cadrage, le photographe retranche du réel tout ce qui ne lui convient pas. Le paradoxe du photographe, c’est que, en retranchant, il compose.

Jean-Luc Renier procède de deux manières : d’un côté, il dévoile l’ordre caché des choses, un ordre subsumé dans la réalité mais dévoilé, rendu visible par le cadrage ; d’un autre côté, il crée un ordre qui n’existait pas.

Depuis toujours, l’art aime la symétrie. Mais la symétrie n’est pas seulement à l’œuvre dans les temples antiques ou les garnitures de cheminée. Elle est active aussi dans ces constructions industrielles où toute idée de beauté architecturale semble absente. Encore faut-il la repérer, voir qu’un pupitre de commande se trouve entre deux portes de garage, dans l’espace médian dessiné par deux lignes jaunes peintes sur le sol. Aucun autre point de vue que celui adopté par Jean-Luc Renier n’aurait fait surgir la beauté immanente de ce sombre hangar.

La symétrie est naturelle. Elle est la règle de composition de tous les êtres vivants. Elle ordonne le visage de l’homme et la disposition de ses membres, de ses doigts, de ses orteils. Elle structure la feuille de l’arbre autant que l’arbre lui-même et la tête de la vache quand on la regarde dans les yeux. Elle est le principe formel de la matière et de la physique des particules. Mais photographier une symétrie n’a rien de naturel, car la symétrie ne se donne pas à voir de prime abord. Elle se découvre et se construit. C’est le cadre qui la fait apparaître. C’est la photo qui la fait exister.

Il ne suffit pas de repérer la cheminée d’une vieille usine dressée dans le ciel bleu au pied des coteaux arborés du bord de Meuse. En la photographiant depuis l’autre rive, Renier découvre qu’elle se dresse exactement au point de jonction entre les deux collines derrière elle, qui se regardent de part et d’autre, comme dans un miroir dont la cheminée serait la tranche. Etrange harmonie du naturel et du construit.

Il ne suffit pas de voir un poteau d’éclairage devant un mur, ni même les ombres portées du câble. Encore faut-il se placer dans l’axe du poteau pour que le câble et ses ombres dessinent de grandes ailes de papillon sur le mur qui, du coup, s’enchante.

Il ne suffit pas de voir un arbre derrière un champ de maïs, lui-même à côté d’un autre fraichement moissonné. Il faut encore abaisser le point de vue jusqu’à ce que le champ de maïs devienne une ligne verte séparant le bleu du ciel de l’ocre de la paille coupée, puis déplacer le cadre le long de cet horizon afin de placer la boule de l’arbre au centre de la ligne. C’est ainsi que, découpant le paysage, le cadre rend visible l’ordre naturel des choses.

Jean-Luc Renier n’est pas seulement le révélateur qui dévoile l’ordre naturel du monde. Il en construit un second, avec les pièces du premier autrement assemblées. À nouveau, le cadre est son principal instrument de travail. En cadrant, il construit de nouveaux rapports entre les choses, des concordances de formes et des harmonies de couleur. Il superpose la coupole blanche d’un nuage par dessus la couronne d’un arbre solitaire. Il fait surgir, devant les planches bleutées d’une cloison de bois, les formes jaunes, orange ou rouges vifs des potirons, … qui y sont accrochés ; il découvre le jaune d’un vieux camion coincé entre deux containers bleus ou, à l’inverse, le container jaune vif à côté du cône renversé et bleuté d’un vieux silo ; échelonnement des bacs en plastique bleu superposés devant une claie de bambous gris ; le toit d’un hangar brun entraperçu entre les masses verdâtres de bouteilles de plastique compressées.  « A suivre ».

Marc-Emmanuel Mélon  
Université de Liège  
Arts du Spectacle  
Unité de recherche en études cinématographiques et   audiovisuelles  

La Galerie.be tient sa singularité reconnue de l'originalité individuelle et marquante des artistes qu'elle propose.


Notre galerie a choisi la s.a. Léon Eeckman
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